Amélie Diéterle est une Actrice Française née le 20 février 1871 à Strasbourg (France)
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Nom de naissance Amélie Diéterle, légitimée LaurentNationalité FranceNaissance 20 février 1871 à Strasbourg (
France)
Mort 20 janvier 1941 (à 69 ans) à Vallauris (
France)
Amélie Diéterle, nom de scène d'Amélie Laurent, est une actrice, cantatrice et collectionneuse d'art française, née à Strasbourg le 20 février 1871 et morte à Cannes le 20 janvier 1941.
Amélie Dieterle est une comédienne renommée et l'une des reines de Paris à la Belle Époque jusqu'au début des Années folles.
Icône de la mode, elle est la belle amie de Paul Gallimard et inspire les poètes Léon Dierx et Stéphane Mallarmé. Elle est également la muse des peintres Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec, Maxime Dethomas ou Alfred Roll.
Biographie
Filiation
Amélie Diéterle naît le 20 février 1871 à Strasbourg. Elle est la fille naturelle de Dorothée Catherine Dieterlé (Dorothee Katharine ou Katharina Dieterlé), née le 6 janvier 1851, jeune servante wurtembergeoise originaire de Reichenbach et troisième fille de Nicolas Dieterlé, tonnelier, et Anna Ehmann (ou Ehman).
Dorothée Dieterlé donne également naissance le 15 février 1872 à Strasbourg devenue comme Metz depuis peu une ville de l'Empire allemand, d'un second enfant naturel : Ernest Dieterlé.
Les deux sœurs aînées de Dorothée s'installent aussi en France :
Charlotte Dieterlé, l'aînée, est née à Reichenbach le 3 novembre 1842. Pour la période de 1870 à 1872, Charlotte est signalée dans la commune de Grez en Seine-et-Marne, puis à Paris au 53 rue de Grenelle-Saint-Germain dans le 7e arrondissement où elle exerce la profession de femme de chambre. Elle se marie le 9 juillet 1872 à Paris dans le 10e arrondissement avec Auguste Grado, marchand de café. Le couple s'installe dans le 18e arrondissement pour ouvrir un commerce d'épicerie au 12 rue Boucry. De cette union sont nés trois enfants — qui sont les cousins utérins d'Amélie — dans ce 18e arrondissement : Augustin le 3 juin 1874, Nicolas le 9 février 1876 mais il meurt deux ans plus tard le 15 mars 1878 et Anna-Pauline le 14 octobre 1877 qui deviendra professeur de musique, plus spécialement de piano.
La seconde sœur est Anne (Anna) Rosine Dieterlé, née en 1849 à Reichenbach où elle est domiciliée. Servante à Strasbourg dans les années 1870-1871, elle réside au 43 rue Kinderspielgasse et juste en face de la maison où loge sa sœur Dorothée. Le 25 septembre 1871, à l'âge de 22 ans, elle met au monde un enfant naturel prénommé Henri, à Strasbourg. L'identité du père ne sera pas connue et il est probable que la mère et son enfant repartent dans son lieu d'origine.
Amélie Diéterle au cours d'un entretien dans une revue théâtrale concernant sa carrière, fait allusion à ses origines strasbourgeoises : « La Kinderspielstrasse m'a vue naître ». Il s'agit de la Kinderspielgasse, nom alsacien de la rue du Jeu-des-Enfants, où l'artiste à l'avenir prometteur voit le jour au n 44. La rue en 1870 échappe par miracle aux bombardements de la guerre franco-allemande.
Strasbourg vient de subir le siège des troupes allemandes depuis le 16 août 1870 et la ville est bombardée par un pilonnage intensif de l'artillerie prussienne. En 46 jours de siège, plus de 200 000 obus sont tombés sur la cité. Des quartiers entiers sont détruits et de nombreux monuments sont réduits en cendres. La cathédrale est touchée, la bibliothèque incendiée et le centre ville est dévasté. Le musée des Beaux-arts, le tribunal, l'hôtel de la préfecture, le théâtre, le palais de justice, le temple neuf, l'hôtel de l'état major, disparaissent. Les pertes civiles françaises sont de 261 tués et environ 1 100 blessés. Strasbourg dénombre 10 000 personnes sans abri.
Les allemands entrent dans la capitale alsacienne dévastée, qui capitule le 28 septembre 1870. L'annexion de l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne a lieu le 10 mai 1871 en application du traité de Francfort.
Le père d'Amélie est un officier français, Louis Laurent, alors en garnison à Strasbourg. Ce militaire, formé à l'École de cavalerie de Saumur au Cadre noir de 1859 à 1860 sous le Second Empire, intègre le 11e régiment de chasseurs à cheval. Il a servi en Algérie de 1861 à 1865 en tant que maréchal des logis.
Lorsque la guerre franco-allemande éclate, il est en campagne dans l'Armée du Rhin, le 29 juillet 1870. Malgré l'héroïsme de ses soldats, l'armée française après une série de défaites tragiques, est vaincue le 1er septembre 1870 à la bataille de Sedan. L'empereur Napoléon III est fait prisonnier puis assigné à résidence au château Wilhelmshöhe, dans le land du Hesse et la République est proclamée à Paris le 4 septembre 1870. Le roi de Prusse est solennellement proclamé empereur Allemand dans la galerie des glaces du château de Versailles le 18 janvier 1871. Diplomatiquement isolée et humiliée, la France cède au nouvel empire, l'Alsace, la Lorraine germanophone et la plus importante place-forte d'Europe, Metz ainsi que le Saulnois. Elle s'engage à payer une importante indemnité à son vainqueur.
Louis Laurent accède au grade de sous-lieutenant le 22 septembre de la même année puis il rejoint l'armée Versaillaise qui met violemment un terme à la Commune de Paris en 1871. Après cette date, il est en poste à Lunéville, la nouvelle ville-frontière avec l'Allemagne. Louis Laurent est nommé Chevalier de la Légion d'honneur le 5 février 1878.
Le 11e régiment de chasseurs tient garnison en 1878 à Saint-Germain-en-Laye où Louis Laurent est muté. Il devient lieutenant-adjudant et demeure dans cette ville jusqu'au 1er juin 1882. À compter de cette date, il intègre le 26e régiment de dragons à Dijon et accède au grade de capitaine.
Cette dernière mutation de Louis Laurent dans la capitale de la Bourgogne où il réside jusqu'en 1890, l'amène à la fin de sa carrière militaire. Il prend sa retraite le 1er juin 1890 pour emménager par la suite à Paris avec sa famille.
Drame familial
La famille Diéterle est ainsi ballottée de ville en ville, au gré des changements d'affectation de Louis Laurent. Dorothée Diéterle et ses deux enfants arrivent à Dijon à la fin de l'année 1882. Le capitaine Laurent incorpore le 26e régiment de Dragons, stationné à la caserne Heudelet nouvellement construite en 1879 et qui héberge cette unité à partir de 1883. Dorothée de son côté, emménage au 5 rue Gagnereaux dans le Nord de la ville et proche du quartier à vocation militaire avec les implantations des casernes Vaillant et Heudelet.
Amélie termine sa scolarité dans la capitale bourguignonne et emprunte la voie artistique. Elle fait son entrée au Conservatoire rue Chabot-Charny en 1885. Ernest quant à lui, poursuit ses études. Officiellement, les enfants sont élevés par leur tante qui est veuve. Pour le voisinage ou l'école, ce pieux mensonge dissimule qu'en certaines circonstances, toute vérité n'est pas bonne à dire, principalement la liaison d'un officier français avec une allemande et sa descendance illégitime dans le contexte de l'après-guerre de 1870. Ce simulacre va même s'imposer à la tragédie que va connaître notre couple.
Le samedi 16 juin 1888, le corps sans vie d'un jeune homme est découvert au petit matin dans les sablières de la Route de Ruffey, le quartier de La Maladière au Nord de Dijon. Ce sont des sapeurs du 27e régiment d'infanterie de ligne en manœuvre de la caserne Vaillant qui découvrent la victime à 7 heures. La police arrive sur les lieux et une enquête est diligentée. Le commissaire Garnier émet l'hypothèse d'une noyade accidentelle. L'inconnu est âgé de 18 ans environ et porte une cicatrice au dessous de l'oreille droite. Il avait déposé ses vêtements sur un talus et ne portait sur lui, qu'un caleçon et une chemise à plastron. Un signalement est diffusé dans la presse afin d'établir l'identité du mort avec la description de ses affaires dont une canne dite de rotin, un chapeau de paille jaune entouré d'un ruban blanc avec un écusson représentant un casque et une cuirasse, trois hallebardes et un drapeau rouge. Mais surtout un mouchoir blanc avec les initiales ; E D.
Le lundi 18 juin, une femme se rend à la morgue de la ville et vient reconnaître le corps du jeune homme où il a été transporté. Cette femme est Dorothée Diéterle et il s'agit bien de son fils Ernest que les militaires ont trouvé. Le lendemain, le quotidien régional, Le Progrès de la Côte-d'Or, rapporte les informations que transmettent les Autorités : la victime se nomme Ernest Diéterley (sic), âgé de 16 ans, originaire de Strasbourg et demeurant au 5 rue Franoy chez sa tante, M Diéterley, veuve. Quant aux causes du décès, une hypothèse est émise : « Diéterley était atteint d'épilepsie ; on suppose qu'en se baignant il aura été pris d'une attaque et qu'il n'a pas eu la force de sortir de l'eau ».
Ce même lundi 18 juin, l'acte de décès d'Ernest Diéterle est rédigé sur la base des déclarations de François Eugène Lair, commissaire aux inhumations et Étienne Jacotot, comptable. L'heure approximative de la mort du 16 juin, au lieu-dit La Maladière, est mentionnée vers quatre heures du matin. Aucun témoin pour corroborer le déroulement des événements et les circonstances du drame restent énigmatiques avec cette baignade en pleine nuit dans une sablière. Les suppositions sont les maîtres-mot et l'affaire est classée.
Des années plus tard et au faîte de sa célébrité, Amélie Diéterle dans ses entretiens avec la presse n'évoquera jamais son frère et encore moins cette disparition tragique. Un secret de famille douloureux et bien gardé.
Carrière
La petite Amélie effectue la fin de ses études à Dijon où son père est en poste. Louis Laurent fait donner à sa fille une éducation très soignée si bien que la future actrice a cultivé avec ferveur l'art sévère des Gluck et des Palestrina. Mais des revers de fortune vont contraindre la jeune élève à se tourner vers le théâtre.
Amélie Diéterle est inscrite au Conservatoire de musique de Dijon, installé à l'époque au 40-42 de la rue Chabot-Charny, bâtiments de l'ancien collège des Godrans. Son maître principal est Charles Laurent, dont la similitude du nom de famille n'aura pas échappé à Amélie. Le 28 juillet 1890, elle obtient à l'unanimité le Premier prix de chant et de solfège que lui remet Théodore Dubois, compositeur et professeur au Conservatoire de Paris.
Elle évoque à ce propos, sa motivation artistique et les conditions d'obtention de son examen à Dijon :
« Pour mon bonheur, en face des fenêtres maternelles, il y avait un théâtre, et l'idée d'être actrice hanta ma cervelle de mioche à une époque où d'ordinaire, on ne rêve que de poupées.
De Strasbourg, les hasards de la vie m'amenèrent à Dijon. J'étais encore une gamine, mais comme j'avais un brin de voix, je me présentai hardiment au Conservatoire de cette bonne ville.
J'y serais restée si un heureux jour, M. Théodore Dubois, n'était venu me pêcher.
C'était le temps émouvant du concours. Malgré mes seize ans j'étais si menue… si menue qu'on m'avait habillée en robe courte.
J'étais en outre si timide, que je chantais tout le temps en tournant le dos aux membres du jury.
Ne sachant à quoi tenait cette attitude, ceux-ci imaginèrent que j'avais quelque difformité physique et j'entendis le bon Théodore Dubois s'apitoyer à mon sujet :
- C'est malheureux. Elle ne pourra jamais faire de théâtre !
Je sursautai et me retournant brusquement, je demandai :
- Pourquoi cela, monsieur ?
On se mit à rire et j'eus mon prix ! »
Amélie Diéterle participe à un concert donné chez le maire de Is-sur-Tille qui la recommande à son oncle, régisseur au théâtre du Châtelet où siège l'Association artistique des Concerts Colonne. Elle « monte » alors à Paris en 1890 avec ses parents qui s'installent dans le 17e arrondissement au 51 rue des Dames. Elle est seule admise parmi quarante concurrentes pour entrer dans les chœurs de l'orchestre d'Édouard Colonne, en cette même année 1890.
Lors de l'un de ces spectacles, le chef des chœurs M. Fock qui est également le chef d'orchestre du théâtre des Variétés depuis de longues années, distingue Amélie Diéterle. Il présente la charmante divette au directeur des Variétés, Eugène Bertrand qui décide de l'engager. Elle joue aussitôt au mois de septembre 1890 dans une reprise de la comédie, Un chapeau de paille d'Italie, d'Eugène Labiche et Marc-Michel. Elle débute sous le pseudonyme de Guimard mais elle reprend son nom de naissance Diéterle dès 1891 où il apparaît dans les annonces des scènes parisiennes. Son premier nom d'emprunt est si bref que des journaux annonçant la pièce de théâtre, Les Héritiers Guichard, publient l'un ou l'autre des deux alias pour le même rôle.
Au cours d'un entretien au journal Excelsior, Amélie Diéterle donne ses raisons sur le choix de son nom d'actrice et évoque sa parenté avec le peintre et décorateur de théâtre, Jules Diéterle :
« Le nom de Diéterte que je porte actuellement n'est presque pas un pseudonyme. Lorsque je déclarai à ma famille que je désirais entrer au théâtre, mon père était encore capitaine de cavalerie en activité de service ; aussi mes parents me demandèrent-ils de prendre le nom de ma mère. J'y trouvai un double avantage : d'abord les syllabes en sont harmonieuses et ailées, si j'ose dire ; puis un Diéterle, cousin éloigné de mon grand-père, s'était déjà fait connaître comme décorateur au grand Opéra, à l'époque de Rossini et de Meyerbeer. Venu, m'a-t-on certifié, des environs de Stuttgart, là où habitaient nos ancêtres communs, il aurait commencé par travailler sous la direction de Desplechin et s'était par la suite associé avec son maître pour dessiner d'admirables maquettes qui sont maintenant exposées à la bibliothèque de l'Académie Nationale de Musique. Il n'en fallut pas davantage pour me convaincre, de sorte que je ne fis pas, comme vous voyez, grand effort d'imagination. »
En 1892, Amélie est enfin légitimée par son père. À ce moment, Louis Laurent, devenu capitaine et à présent retraité, épouse Dorothée Catherine Diéterle, le 20 février 1892 à Paris. Cette date est le jour anniversaire de leur fille, vingt-et-un ans, qui est donc reconnue lors de la célébration de ce mariage.
Il est probable que Louis Laurent a privilégié sa carrière militaire au détriment de sa vie familiale, dans le contexte de l'antagonisme franco-allemand qui suit la défaite française de 1870 et l'esprit de revanche qui prévaut alors dans l'opinion publique. Cette période est caractérisée par les discours belliqueux du général Georges Boulanger avec la montée de son mouvement politique, le boulangisme, et en parallèle l'affaire Schnæbelé. La liaison du capitaine Laurent avec une allemande d'où est né un enfant naturel et illégitime, de surcroît de la même nationalité que sa mère, expliquerait le retard d'une officialisation en ces temps troublés. Une partie de la presse et de l'opinion publique se font l'écho de cet esprit de vengeance et de la montée du nationalisme, face à l'ennemi allemand. Ainsi se développe un contexte de soupçon, d'espionnage et de trahison. En 1894, l'arrestation du capitaine Alfred Dreyfus illustre bien ce climat délétère et l'affaire du même nom a bouleversé la société française pendant douze ans. Admis à la retraite, Louis Laurent ne subit plus cette pression, sans doute de sa hiérarchie, décide le mariage et reconnaît sa fille. Néanmoins et malgré cette légitimité, la nouvelle artiste conserve son nom de naissance comme nom de scène. Par ailleurs, dans les différents entretiens publiés par la presse, Amélie évoque souvent sa mère mais très rarement son père. Enfin, que dire des déclarations de l'état civil au recensement de Saint-Germain-en-Laye en 1881 où Amélie Diéterle est mentionnée en tant que nièce et non comme fille de Dorothée Diéterle ?
Amélie Diéterle devient l'élève de M Alice Ducasse, ancienne chanteuse de l'Opéra-Comique, qui a quitté la scène pour reprendre l'enseignement à Paris.
Mais pour ses débuts sur les planches, notre apprentie comédienne est vite confrontée aux exigences des anciens qui ne laissent que peu de place aux novices et notre ingénue n'est pas au bout de ses peines :
« J'eus un jour une grande émotion. C'était au théâtre des Variétés où je venais de me faire engager, mon premier engagement dans la capitale.
On m'avait dévolu un petit bout de rôle long comme rien, mais enfin c'était un petit bout de rôle. Je n'avais presque qu'une phrase à dire, et vous pensez si j'y tenais à cette phrase !
Oh ! Ce calvaire !
Dupuis, le grand Dupuis, qui menait la pièce, se plaignait tout le temps qu'il y eût trop de rôles à côté du sien. L'auteur, le directeur, le régisseur, passèrent les interminables semaines des répétitions à tailler par ci, à tailler par là dans le texte, et vingt fois la pauvre petite phrase de rien faillit sauter.
Enfin la première arriva. J'existais encore, moi et mon rôle, fière de lui comme vous pensez. J'imaginais que tout Paris était suspendu à mes lèvres. Mais patatras ! Voilà ma partenaire qui se trompe, saute la réplique qui amenait ma phrase et, comme je restais là, effarée, une voix dans la coulisse ordonna :
- Passez ! Passez !
Ma pauvre petite phrase était coupée, et Maman, qu'on avait juchée au poulailler avec la claque et une douzaine d'amis à nous, pour donner le signal des applaudissements, en fit une maladie.
Tout ceci est déjà loin !
Le succès, depuis, est venu et j'ai montré ma frimousse un peu partout, même à l'étranger. »
Aux côtés d'Amélie, se produisent sur scène les grands noms du théâtre : Réjane, Marcelle Lender, Jeanne Granier, Ève Lavallière, Mistinguett, Max Dearly ou Albert Brasseur. Étoile des opérettes d'Offenbach et de nombreuses comédies, elle est admirée par l'épouse du propriétaire des Variétés, M Paul Gallimard, pour « l'éblouissante blondeur de sa peau ». La beauté d'Amélie Diéterle ne laisse pas indifférent le maître des lieux, Paul Gallimard, fortuné et mécène des arts. Du statut de protégée, elle devient sa maîtresse et Gallimard finit par s'installer avec Amélie, qu'il surnomme « la petite », dans un appartement au 33 boulevard Haussmann puis au 68 boulevard Malesherbes, délaissant sa femme, Lucie Duché, et ses trois fils dont le futur éditeur, Gaston. La comédienne joue un certain nombre de rôles importants grâce à l'appui de Gallimard, ce qui ne va pas sans susciter des jalousies au sein des artistes.
Elle chante dans La Vie parisienne, l'opéra bouffe en quatre actes de Henri Meilhac et Ludovic Halévy sur une musique de Jacques Offenbach, où elle interprète le rôle de Louise en 1892. Commence alors une longue carrière de 30 ans au sein de la prestigieuse troupe du théâtre des Variétés. Actrice permanente de l'établissement, elle y dispose de sa propre loge privée et réservée. Sa petite voix « flûtée », sa malice, son nez « en trompette » la rendent très populaire et très appréciée.
En 1898, Amélie Diéterle demande au poète et ami, Stéphane Mallarmé, une signature sur l'album de sa loge aux Variétés. Le 25 avril 1898, Mallarmé rédige alors un charmant quatrain en remplacement de l'autographe sollicité :
« Un rossignol aux bosquets miens
Jette sa folle et même perle
Il prélude et je me souviens
De Mademoiselle Diéterle. »
Il s'agit de l'un des derniers poèmes de Stéphane Mallarmé, qui meurt le 9 septembre 1898 dans sa résidence de Valvins sur la commune de Vulaines-sur-Seine.
photographie de Stéphane Mallarmé par Nadar.
Correspondance de Stéphane Mallarmé (1898).
Quatrain autographe signé du monogramme SM, composé le 25 avril 1898 par Stéphane Mallarmé pour la comédienne Amélie Diéterle.
Elle excelle en 1901 dans Les Travaux d'Hercule, l'opéra en trois actes de Gaston Arman de Caillavet et Robert de Flers sur une musique de Claude Terrasse au théâtre des Bouffes-Parisiens. Son personnage de la reine Omphale lui vaut un poème élogieux dans le livret des auteurs :
« C'est un bijou bien parisien
Serti par quelque maître artiste
Éclipsant rubis, améthyste
Émeraude, corail indien,
C'est une exquise et rare perle
Ce bijou nommé Diéterle. »
Toujours en 1901, Amélie triomphe aux Folies Bergère dans Napoli, un ballet pantomime en quatre actes de Paul Milliet sur une musique de Franco Alfano avec une mise en scène et une chorégraphie de Madame Mariquita. Le directeur Édouard Marchand a tout fait pour engager la jeune artiste et les critiques sont élogieuses : « L'interprétation de Napoli est hors de pair. La jolie M Diéterle que M. Marchand a arrachée à coups de billets de banque au théâtre des Variétés, dont elle était l'enfant gâtée, joue la Parisienne. On ne pouvait lui confier un rôle qui fût mieux dans sa nature élégante. M Diéterle semble, en effet, une Parisienne sortie du crayon de Grévin. Elle en a la grâce et le charme. Le public lui a fait une ovation aussi chaude que méritée ».
Son succès des Travaux d'Hercule sur la scène des Bouffes-Parisiens et ses nombreuses créations comme La fiancée du scaphandrier et Au temps des croisades de Franc-Nohain et Claude Terrasse au théâtre des Mathurins, lui valent une première récompense officielle. Amélie Diéterle reçoit les palmes académiques le 3 mars 1902 et devient Officier d'académie. Cette décoration est un camouflet pour la censure qui a pourtant interdit la représentation de l'opéra bouffe, Au temps des croisades, une œuvre jugée licencieuse. La direction du théâtre des Mathurins contourne la difficulté pour la France par des représentations privées, uniquement sur invitation. La première a lieu le 30 janvier 1902 et la pièce interdite est un triomphe. Le Tout-Paris fredonne la sulfureuse Valse des péchés. Le spectacle se déroule dans un Moyen Âge plein d'anachronismes et Amélie Diéterle interprète le personnage de la jeune châtelaine, Dame Bertrade.
Amélie Diéterle s'est fait une spécialité en chantant et en dansant dans les salons mondains et culturels parisiens, principalement les compositions d'Alfred Bruneau.
Au début de l'automne 1907, Amélie Diéterle signe un nouveau contrat pour une durée de douze ans avec Fernand Samuel, le directeur du théâtre des Variétés.
Amélie Diéterle reçoit pour la seconde fois une distinction officielle et elle est nommée officier de l'instruction publique le 20 janvier 1908, sur proposition de Gaston Doumergue, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts. Cette distinction provoque de nouvelles rivalités et suscite des controverses, à l'image de cette société dominée par l'homme. Ainsi sont attaqués l'un après l'autre, le ministre, Gallimard et Diéterle. La décoration que porte Amélie sur son corsage lors d'un souper chez Gallimard inspire l'un des convives, le romancier Tristan Bernard, qui composa ce quatrain, dont plusieurs versions sont publiées par la suite :
« Moquez-vous du qu'en dira-t-on,
Et soyez bien sage, ma mie,
Puisque monsieur votre téton
Est officier d'académie. »
Sa cousine, Anna-Pauline Grado, fille d'Auguste Grado et de Charlotte Dieterlé, exerce la profession de professeur de musique à Le Perreux. Elle reçoit aussi les Palmes académiques et elle est nommée Officier d'académie le 19 novembre 1911. Pauline Grado s'est mariée le 12 décembre 1901 dans le 18e arrondissement de Paris avec Auguste Jean Émile Chauveau, employé de chemin de fer et natif d'Orsennes dans le département de l'Indre. Le capitaine Louis Laurent est l'un des témoins à leur mariage.
Amélie Diéterle, pensionnaire du théâtre des Variétés, est l'une des fondatrices avec Marcelle Lender et Ève Lavallière du cercle, Le Gouting-Club, où se retrouvent artistes et amis autour d'un somptueux buffet dans le salon privé de la comédienne. Cette réunion qui se déroule chaque jour à l'heure du goûter, est organisée par la maîtresse de lieux, M Diéterle, également trésorière de ce club très sélect. Chaque membre porte à la boutonnière l'insigne du club : un ruban cerise clair et grenat relié par un petit fil d'or. Un des acteurs du théâtre, M. Carpentier, est le sonneur de cette association et manie avec maestria une énorme sonnette pour appeler les convives à se rendre dans la loge de l'actrice, le lieu de ce rendez-vous incontournable.
Elle compose en 1908, le rôle de Suzette Bourdier dans Le Roi, une comédie en quatre actes de Robert de Flers, Gaston Arman de Caillavet et Emmanuel Arène sur une mise en scène de Fernand Samuel, au théâtre des Variétés. Le spectacle débute le 24 avril 1908 et le succès est tel, que la dernière représentation est donnée l'année suivante, le dimanche 24 octobre 1909. Amélie Diéterle a joué son personnage, 530 fois de suite.
Passionnée par le cinéma, ce nouvel art du spectacle qui vient juste de faire son apparition dans la dernière décennie du XIX siècle, Amélie Diéterle tourne dans de nombreux films muets et ce, dès 1909. Elle joue ainsi dans des courts ou longs métrages dont plusieurs comédies, notamment celles de la série des Rigadin, réalisées par Georges Monca, jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale.
Au cours de la Grande Guerre, Amélie devient infirmière à l'hôpital militaire de Fouras dans le département de la Charente-Inférieure et assure les soins aux blessés venant du front. Elle fait sa rentrée au théâtre des Variétés en 1917.
Les domiciles d'Amélie Diéterle dans le département de la Seine sont situés successivement, dans le 17e arrondissement de Paris en 1890 puis au 6 rue du Marché à Neuilly à la fin du XIX siècle. Elle revient à Paris pour s'installer dans le 9e et en dernier lieu, le 8e arrondissement au 68 boulevard Malesherbes. La comédienne a longtemps habité dans la commune de Croissy-sur-Seine, à l'angle de la rue Maurice-Berteaux et de la rue des Coteaux, où elle a fait construire une villa baptisée Omphale, du nom de l'un de ses grands rôles dans la pièce, Les travaux d’Hercule, jouée en 1901. Ses parents se sont installés dans cette commune en 1911 au n 2 rue Haute-Pierre avant de déménager pour la villa de leur fille.
Amélie Diéterle au théâtre des Variétés à Paris durant la Belle Époque.
Le théâtre des Variétés, boulevard Montmartre à Paris, par Jean Béraud.
Théâtre des Variétés à Paris en 1900.
Affiche du théâtre des Variétés en 1897. Amélie Diéterle est représentée en bas et au centre (Musée Carnavalet).
Amélie Diéterle, détail de l'affiche de la revue théâtrale, Paris qui marche.
La comédienne dans le personnage de Bengaline pour cette même revue par le photographe Léopold-Émile Reutlinger.
Amélie Diéterle se produit dans l'opéra bouffe, Chilpéric, en 1895. Affiche d'Alfred Choubrac.
Amélie Diéterle dans la pièce Le Roi de Gaston Arman de Caillavet, à Paris en 1909.
Les tournées à l'étranger
Au cours de la période 1898-1899 et entre deux représentations sur les scènes françaises, Amélie Diéterle se produit à l'étranger, principalement en Russie. Sur le plan international, la France avait signé avec l'Empire russe en 1892, une alliance militaire, économique et financière.
Le 13 juin 1898, Amélie Diéterle est en tournée à Moscou et s'affirme sur la scène du théâtre Aumont, du nom de son fondateur français, Charles Aumont (en russe, Омон Шарль, orthographié Charles Omon dans la langue slave). Le répertoire d'Amélie alterne les chansons bretonnes, provençales et même hollandaises ainsi que les danses. Elle interprète les œuvres musicales des auteurs-compositeurs tels que Alfred Bruneau, Henri Maréchal , Théodore Dubois ou Ludovic Ratz. Le maître de ballet est Joseph Hansen de l'Opéra de Paris et les costumes sur mesure du spectacle sont conçus et créés par Charles Edmond Landolff, le costumier des théâtres de Paris.
Durant un séjour à la « Venise du Nord », Saint-Pétersbourg, Amélie Diéterle est confrontée à l'incompréhension de ses hôtes dans un salon aristocratique :
« On me vit notamment en Russie, mais dans ce diable de pays on est d'une sévérité si grande que, lorsqu'on joue un rôle un peu léger comme sont d'ordinaire les miens, il faut glisser, c'est-à-dire tout faire pour qu'on ne vous remarque pas.
C'est au point, qu'un soir, dans un salon à Pétersbourg, comme j'avais joué une pièce un peu pimentée, le maître de la maison, un homme charmant, qui possédait à fond la langue française, me dit :
- Vous êtes délicieuse, admirable, seulement ma femme n'a rien discerné ; vous-même, comprenez-vous bien le sens des paroles que vous prononcez ? »
En 1899, Amélie Diéterle accomplit une tournée de plusieurs mois dans différentes capitales : Bruxelles, Berlin, Saint-Pétersbourg et Moscou. Ses représentations obtiennent un énorme succès et sont prolongées à la demande des directeurs de théâtre qui l'avaient engagée.
Lors de ce voyage, elle joue les principales opérettes dont La Belle Hélène et La Vie parisienne, devant le Tsar et sa Cour à Saint-Pétersbourg. Elle séjourne pendant un mois à Krasnoïe Selo, ville de villégiature et résidence d'été du Tsar.
Autre Cour impériale, celle du Kaiser, Guillaume II. Un grand dignitaire du régime est sous le charme de l'actrice et il fait preuve d'audace pour arriver à ses fins. Fort heureusement, notre comédienne maîtrise parfaitement l'Allemand, au sens propre comme au sens figuré :
« À Berlin, un personnage très haut placé, proche du trône même, me fit une cour assidue. Ne croyez pas que j'en tirai vanité. La meilleure preuve en fut que je lui fis comprendre, dès le premier jour, que je ne pouvais l'écouter.
Il insista et devint même tellement pressant qu'un soir, brusquement, je le mis à la porte de ma loge.
Le geste avait été vif et j'eus l'idée qu'étant donné le rang de cet adorateur, j'allais souffrir de représailles certainement cruelles et que, d'ici peu, on allait me reconduire à la frontière.
Justement le lendemain, de sa part vint un aide de camp moustachu, de six pieds de haut.
Au lieu d'un ordre d'expulsion, il me remit un petit paquet et se retira après m'avoir fait le salut militaire.
Dans le paquet était un délicieux ivoire du XVIIIe siècle représentant l'Amour fouetté… »
À la fin du mois de mai 1902, Amélie Diéterle prend de nouveau le train Nord-Express à la gare du Nord et à destination de la Russie pour jouer Chipette, au théâtre de l'Olympia à l'Aquarium de Moscou.
En 1904, les tournées théâtrales à l'étranger emmènent également la jeune Amélie en Amérique latine et elle remporte un triomphe en Argentine, en Uruguay et au Brésil. Le journaliste Serge Basset, critique artistique et théâtral au Figaro, écrit le 14 avril dans les colonnes de ce quotidien :
« Après avoir transporté toutes les grâces de l'opérette à Parisiana et montré que le talent sait élever jusqu'à lui les scènes où il se déploie ; après s'être fait applaudir cinquante fois de suite dans Mam'zelle 5 Louis, M Diéterle va partir en tournée.
Elle s'embarquera mercredi prochain, à Marseille, pour Buenos Aires, Rosario, Montevideo, São Paulo et Rio de Janeiro. Dans ces diverses villes, la toute charmante artiste donnera une série de représentations de son répertoire. Celui-ci comprendra cinq opérettes d'Offenbach : Bataclan, Jeanne qui pleure et Jean qui rit, Pomme d'api, M. Choufleuri, Bagatelle ; une opérette de M. Louis Artus, musique de Bonnamy : Séduction, et une autre opérette spécialement écrite pour la tournée Diéterle : Le Baiser de Ninon, par deux auteurs originaires de l'Amérique du Sud, M. Justin Clérice, un compositeur argentin — quoique si parisien ! — M. Moncousin, un librettiste, argentin lui aussi. On comprendra que cette œuvre ne peut manquer d'être accueillie avec la plus grande faveur sur tous les points de l'itinéraire.
M Diéterle chantera encore : Au temps des Croisades, de MM. Franc-Nohain et Terrasse ; les Petits Patins, de M. Ludo Ratz. À la prière de son imprésario, elle jouera L'Étincelle, de Pailleron, et L'Ingénue, d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
Notre correspondant de Buenos-Aires nous écrit que l'arrivée de M Diéterle est très attendue et qu'une série de gros succès se prépare pour la divette. Personne n'en sera surpris. »
Serge Basset dans son compte-rendu évoque la comédie Mam'zelle 5 Louis. L'allusion à ce spectacle n'est pas fortuite, puisqu'il est en réalité l'un des auteurs.
Le voyage initialement prévu le 20 avril est différé d'une semaine. Amélie Diéterle arrive le 26 dans le port de la cité phocéenne et monte à bord du steamer en partance pour l'Amérique du Sud et à destination du Brésil. Sa popularité grandissante outre-Atlantique s'est accompagnée d'un effet inattendu : elle devient la marraine d'une petite brésilienne de Rio de Janeiro.
Cette tournée éprouvante — mais avec la réussite escomptée — se termine quatre mois plus tard au mois d'août à Buenos Aires. Le 17, elle reprend le paquebot pour la France au départ du port Argentin. Installée à bord de « L’Atlantique » de la Compagnie des Messageries Maritimes, un accident survient à la sortie de la rade. Le paquebot heurte une épave occasionnant une avarie au niveau des hélices et des frayeurs parmi les passagers. Après réparations, le navire accoste avec retard à Bordeaux le 28 août 1904 et Amélie Diéterle retrouve le chemin des scènes françaises.
Quai de la Joliette et Messageries maritimes dans le port de Marseille vers 1900.
Le paquebot L'Atlantique vers 1904.
Escalier de la salle à manger et la galerie des premières classes de L'Atlantique vers 1902.
Embarquement à Buenos Aires (Argentine) des passagers de L'Atlantique vers 1905.
Au cours du mois de mai 1917, Amélie Diéterle est en Espagne. Elle se produit au théâtre de la Reine Victoria (Teatro Reina Victoria) à Madrid. Ses principales interprétations sont : Cœur de Moineau de Louis Artus, Une nuit de noces d'Henri Kéroul et Albert Barré, Le Roi de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet, Le prince consort de Léon Xanrof et Jules Chancel, La petite chocolatière de Paul Gavault, ainsi que plusieurs pièces de Georges Feydeau : La dame de chez Maxim's, Mais n'te promène donc pas toute nue ! et La puce à l'oreille.
Amélie Diéterle par elle-même
La comédienne au détour d'un entretien pour une revue en 1901, se laisse aller à quelques confidences, non dénuées d'humour. Elle se confie sur sa personnalité, ses passions et son métier :
« Je suis née dans les provinces de l'Est. Voilà sans doute pourquoi j'ai l'air si parisien. On me prend aussi volontiers pour une petite Suissesse. J'adore d'ailleurs construire des chalets en Espagne.
Mon âge ? Je ne le dirai pas, d'abord parce que cette franchise pourrait m'ennuyer un jour… Oh ! pas tout de suite, et puis parce qu'en le confessant, je ferais de la peine à toutes les petites camarades qui l'ont dépassé… et elles sont quelques-unes.
Mon physique ? On dit souvent que je suis jolie. Ce n'est pas vrai. Je me reconnais cependant un certain chic. Lorsque ce mot sera discuté à l'Académie pour le nouveau dictionnaire, je compte bien être au nombre des exemples cités. — Les épithètes que l'on m'accorde le plus ordinairement sont celles de délicieuse, gracieuse on exquise. Mon Dieu ! ce n'est pas mal. Il faut savoir se contenter de peu. On me compare aussi bien souvent à un bibelot. J'attends mon étagère.
On dit encore de moi — c'est effrayant tout ce qu'on dit de moi — que je suis un petit Saxe ou un petit Greuze. Comme c'est gai ! Pour un peu on me comparerait à un sujet de pendule ou à la Cruche cassée. Ah ça non, je ne suis pas bête du tout, et si je n'ai pas inventé la poudre, c'est que je trouve cette invention stupide et meurtrière… Et puis aussi parce qu'elle était inventée avant moi. Je suis, comment dire ?… Futée. Mais j'ai cru bien comprendre et penser tout ce que je dis. En revanche, je me garde bien de dire tout ce que je comprends et tout ce que je pense.
J'aime la vie simple et paisible, les livres, les tableaux, les fleurs, mais par-dessus tout, mon théâtre. — Peut-être un petit peu bourgeoise dans mes habitudes. Je suis artiste dans mes goûts. Si j'avais des armes, j'y verrais assez bien un petit pot au feu dont les anses seraient remplacés par des ailes. Je travaille beaucoup le chant et la comédie. Je me donne toute entière… à mes rôles.
Je les aime… Je les vis… Et lorsque je les quitte, il me semble que c'est un peu de moi qui s'en va. C'est bien bête d'être ainsi et si j'avais à me refaire… Eh bien ! je crois que je me referais encore telle que je suis.
Diéterle. »
Amélie Diéterle vue par ses contemporains
Sous les intiales L.V. — probablement Louis Vauxcelles d'après ses connaissances des peintres et de l'art — un journaliste du quotidien Gil Blas dresse un portrait de la soprano en 1908 :
« Médaillon : Amélie Diéterle.
Voici que reparaît, délicieusement et triomphalement espiègle, dans le tricentenaire Cœur de Moineau, l'adorable Amélie Diéterle. Tout Paris sourit de joie dès qu'apparaît, sur les planches de l'Athénée ou des Variétés, cette mignonne et délicate Tanagra. Elle fut L'Omphale ingénue, bien que voluptueuse, des Travaux d'Hercule, la fine Phrynette de l'Enfant prodigue ; et la Fiancée du Timbalier, et la gente dame Bertrade d'Au temps des croisades. Elle fut aussi La Ponette. Et la revoici Huguette de la jolie pièce d'Artus. Et n'oublions pas Riquiqui, gamine candide, amoureuse et perverse, du Nouveau Jeu… Diéterle est la Muse, la Musette plutôt, de l'opérette française et de là comédie bouffe. On aime en elle la grâce désinvolte, la fantaisie ailée ; on est pris au charme des trilles cristallins de sa voix exquise.
Aux Variétés, où ses partenaires de l'un et l'autre sexe recherchent, pour dilater le gros public, les effets de bouffonnerie outrancière, Diéterle, infiniment plus raffinée, ne vise qu'à l'expression des nuances, des sentiments vrais. Elle est subtile, spirituellement psychologue et dédaigne la charge.
En un mot, elle joue vrai. Ce qui ne l'empêche point d'avoir le diable au corps, quand le rôle l'exige.
Ces préoccupations de véritable comédienne se conçoivent mieux, s'expliquent tout naturellement quand on sait qu'à la ville cette actrice est la plus cultivée, la plus artiste des jeunes femmes de ce temps. Rendez-lui visite en sa loge, si Namur, petit toutou tapi sur un coin du divan, ne vous en défend point l'accès : vous admirerez un magistral crayon de la divette signé Maxime Dethomas et aussi des gravures japonaises de bon style et de bonne époque. Rendez-lui visite en son home du boulevard Haussmann, elle vous montrera, enthousiaste et compréhensive, ses Corot, ses Delacroix, ses Youdking, ses Manet, ses Renoir, ses Monet, ses Cézanne, ses Carrière, ses Lautrec, ses Vuillard, ses Bonnard et ses d'Espagnat.
Elle collectionne aussi les éventails anciens, les bronzes de Barye ; l'estampe dix-huitième siècle — Gravelot et Cochin — voisine avec l'estampe nipponne : Outamaro, Hiroshighé, Okousaï.
Elle raffole d'ailleurs des fourrures, et vous présentera à un tigre et à deux ours (qui ne sont point ceux que les dramaturges lui ont soumis).
Elle exècre te cabotinage et préfère les intimes réunions de gens de lettres, de peintres, d'artistes.
Elle se fiche de la mode, imbécile et tyrannique. Alors que ses camarades se surmontent le crâne de désopilants et formidables jardins fleuris, Diéterle, narquoise et discrète poupée, porte de tout petits chapeaux !!
Les poètes qui sont ses familiers — tel l'austère et grand Léon Dierx — ont chanté sa grâce souveraine. Et je ne crains point de dire que Stéphane Mallarmé ne cisela jamais bijou plus pur que ce quatrain célèbre :
Un rossignol au bosquet mien
Jette sa folle et même perle…
Il prélude… Et je me souviens
De Mademoiselle Diéterle… »
La muse et les arts
Amélie Diéterle inspire les poètes Léon Dierx et Stéphane Mallarmé. Son ami, le collectionneur Paul Gallimard, lui fait découvrir le monde des arts et par son intermédiaire, elle devient le modèle des peintres les plus en vue.
Auguste Renoir a réalisé plusieurs portraits de la comédienne dont une série la représente avec un chapeau blanc. De ces différentes versions, une est datée de 1892 et elle figure dans l'ouvrage de Gustave Geffroy sous le titre de : Germinal, album de vingt estampes originales. L'auteur dans sa préface décrit l'œuvre du maître en ces termes :
« Renoir fait chanter tout un poème de jeunesse, de charme vital, par cette belle fillette empanachée, aux yeux ingénus, à la bouche sensuelle, au visage d'enfant, à la gorge de femme, qui transparaît à travers le dessin le plus souple, le plus léger, le plus joli, le plus nacré. »
Une autre variante en 1899, est une lithographie en gris sur papier vélin, exposée au musée Art Institute of Chicago.
Citons également un pastel de 1903, exposé au Museum of Fine arts of Boston, sous le titre de Mademoiselle Dieterle, La Merveilleuse. Un autre portrait réalisé vers 1910 est aussi un pastel, actuellement au musée Antoine-Lécuyer à Saint-Quentin.
L'une des œuvres du célèbre impressionniste est prêtée en 1922 par Gaston Bernheim (1870-1953) à l'exposition Cent ans de peinture française (1821-1921) d'Ingres au Cubisme, organisée au profit du Musée de Strasbourg, la ville natale de la comédienne, au siège parisien de la Chambre des Antiquaires et reproduit dans l'article du critique d'art et romancier, Léandre Vaillat, de la revue L'Illustration n 4126 du 1er avril 1922. Amélie Diéterle est dessinée assise, accoudée à une table, une employée de maison (Gabrielle Renard) lui versant une infusion dans une tasse. Un second critique d'art, René-Jean, publie également dans le journal Comœdia, une description détaillée de la peinture :
« De tous ces tableaux, ceux qu'on a plaisir à regarder se comptent aisément : d'abord, par Renoir, le portrait de Diéterle, assise en corsage blanc sur un fond de feuillage, servie par une jeune bonne vêtue de rouge : harmonie verte, blanche et rouge, exaltant la splendeur nacrée des chairs et opposant une blondeur claire à une matité brune, scène de genre peut-être plus que portrait au sens classique du mot, mais œuvre où la vie s'exprime avec plénitude et intensité. »
Cette peinture, datée de 1911, appartient de nos jours à la Fondation Barnes, sous le titre de Tea Time et elle est exposée dans leur musée à Philadelphie dans l'État de Pennsylvanie aux États-Unis.
Enfin, une autre peinture de Renoir intitulée Femme nue en buste serait une représentation de l'actrice et qui appartenait à Amélie Diéterle, collectionneuse avisée. L'artiste des Variétés est guidée dans ses choix par son mentor, Paul Gallimard. Sur les murs de l'appartement parisien d'Amélie Diéterle, c'est une accumulation de toiles remarquablement signées : Manet, Delacroix, Degas, Pissarro, Renoir, Sisley, Daumier, Corot, Valloton, etc.
Parmi la collection privée d'Amélie Diéterle, figure un tableau de Renoir, La baigneuse endormie, peinte en 1897 et qui appartient à l'artiste du théâtre des Variétés jusqu'en 1920. Cette œuvre se trouve à présent au musée Oskar Reinhart « Am Römerholz ». Quant au sujet représenté, deux versions s'opposent. Le modèle serait-il Gabrielle Renard, la nourrice de Jean Renoir le fils du peintre, ou Amélie Diéterle elle-même ? Toutes les deux sont devenues les muses du peintre. À noter que Gabrielle Renard avait les cheveux noirs et le teint mat. Amélie Diéterle était blonde et avait la peau claire dans les portraits de Renoir. Cette opposition est plus favorable à la comédienne, description que l'on retrouve dans la peinture citée précédemment et dénommée Tea Time.
Henri de Toulouse-Lautrec la fait figurer dans l'une de ses plus célèbres toiles datée de 1896 : Marcelle Lender dansant le boléro dans « Chilperic ».
L'artiste Alfred Roll exécute un tableau au mois de juin 1913, présentant Amélie Diéterle à demi-nue. Elle est assise en extérieur, dans un fauteuil de jardin avec des accotoirs à barreaux ajourés. M Henriette Roll en fera don au musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, au Petit Palais.
Le journaliste Louis Vauxcelles publie un article en 1913 dans le quotidien Gil Blas sur l'élaboration de l'œuvre :
« Un portrait de M Diéterle
Le maître Roll vient de peindre un adorable portrait de M Diéterle. Le pinceau de ce coloriste puissant, de la lignée de Géricault et de Manet, sait trouver quand il le veut des accents d'une grâce séduisante.
La divette est représentée en un costume d'une fantaisie hardiment décorative, — un peu dans la manière des brillants portraits féminins du XVIIIe. Décolletée généreusement, le buste à demi voilé de linons transparents, la gorge et les bras nus ; puis, à mi-corps et s'étendant sur les genoux, une fourrure fauve.
L'œuvre a été exécutée en plein air, et se baigne parmi les reflets au lieu d'être comme décolorée par la lumière froide de l'atelier. La fraîcheur du teint de Diéterle, ses célèbres torsades blondes, son charme mutin, l'espièglerie câline de sa bouche, de son regard, tous ces agréments spirituels si malaisés à fixer sur la toile, ont été exprimés par Roll avec une verve et un bonheur juvéniles.
Le portrait harmonieux et vrai a été peint avec joie, par les belles journées de juin, dans un parc, à Bois-le-Roi ; le maître travaillait en souriant, la belle actrice posait avec une courageuse patience. Et, près d'eux, un bibliophile fameux, collectionneur de merveilles picturales, ami du peintre, ami de la comédienne, devisait d'art et de littérature.
Nous verrons, au Salon prochain, le portrait de M Diéterle par A. Roll. »
Le « bibliophile fameux, collectionneur de merveilles picturales » évoqué par Louis Vauxcelles, n'est autre que Paul Gallimard.
André Sinet (1867-1923), peintre, dessinateur, lithographe et affichiste, a également représenté Amélie Diéterle par deux portraits. Le premier est exposé au Salon de 1899 et le second daté de 1900, figure à l'exposition des peintres du Théâtre, des acteurs et actrices, organisée par la revue théâtrale La Rampe, à la Galerie d'Art du photographe Henri Manuel à Paris au mois d'octobre 1920.
Amélie Diéterle pose aussi pour Maxime Dethomas. Le portrait de la comédienne réalisé par le peintre, est exposé au Salon d'automne de 1908.
Un autre artiste inspiré par l'actrice est William Malherbe (1884-1951), disciple de Pierre Bonnard et de Renoir, qui reproduit en 1923 « la princesse des scènes parisiennes », coiffée d'un grand chapeau blanc sur un fond de feuillages. Cette œuvre fait l'objet aussi d'une exposition au Salon d'automne de 1924. Ce tableau est mis sur le marché de l'Art le 22 mars 2019 à l'Hôtel Drouot sous le titre de « Femme à l'ombrelle » par la société de ventes aux enchères, L'Huillier & Associés.
Paul Gallimard et Amélie Diéterle sont des habitués de la villa Beaulieu, la superbe demeure du peintre Félix Vallotton, située sur les hauts de Honfleur en Normandie avec son célèbre panorama de la Côte de Grâce et l'estuaire de la Seine. Gallimard est déjà propriétaire d'un tableau de Vallotton, acquis en 1910 et Amélie Diéterle de La femme africaine (œuvre nommée à l'époque La Négresse), aujourd'hui au Musée d'Art moderne de Troyes. Les hôtes de Vallotton vont récidiver. Lui en 1917 avec deux importants paysages de Ploumanac'h et elle, avec une nature morte achetée à l'exposition personnelle du peintre en 1919.
Portraits de {{Mlle}} Amélie Diéterle.
Pastel : Mademoiselle Diéterle, La Merveilleuse, d'Auguste Renoir en 1903. Museum of Fine arts of Boston.
Pastel : Portrait de Mademoiselle Diéterle, d'Auguste Renoir vers 1910. Musée Antoine-Lécuyer à Saint-Quentin.
Marcelle Lender au centre et Amélie Diéterle à gauche en robe verte, dans Chilpéric par Henri de Toulouse-Lautrec en 1896.
Femme nue en buste par Auguste Renoir. Représentation supposée de l'actrice, collection Amélie Diéterle.
Un modèle idéal
Les artistes de la Belle Époque telles que Liane de Pougy, Émilienne d'Alençon, La belle Otero, Geneviève Lantelme ou Cléo de Mérode, s’affirment dans le demi-monde parisien grâce à leur beauté et à leur notoriété mais surtout à leurs amants illustres. Les chroniqueurs mondains influent abondamment sur la renommée de ces courtisanes. Mais ce sont les photographes qui leur assurent un succès considérable. Le recours à la photographie, diffuse leurs effigies à l’échelle internationale, ce qui permet aux demi-mondaines qui, à défaut d’un véritable talent, misent tout sur leur beauté. Les séductrices de la Belle Époque ont en fait besoin d’une foule d’admirateurs anonymes qui, en collectionnant les reproductions de leurs portraits photographiques, contribuent à accroître leur réputation de « femmes fatales ».
Parallèlement, les véritables artistes du spectacle, comme Sarah Bernhardt, Réjane, Amélie Diéterle, Ève Lavallière ou Arlette Dorgère, ont également besoin de consolider leur renommée par le biais de la photographie. Le développement de la technique photographique contribue à faire d'Amélie Diéterle une célébrité : son portrait est reproduit sous forme de cartes postales, tirées et diffusées à des milliers d'exemplaires. Les photographes Paul Nadar, Léopold Reutlinger, Henri Manuel, Paul Boyer, Auguste Bert ou le studio Cautin et Berger, célèbrent Amélie Diéterle en icône. Reproduite à loisir, l'effigie d'Amélie correspond à l'idéal ambigu de la féminité forgé par la Belle Époque : une femme sensuelle mais sans en avoir l'air, naïve et malicieuse en même temps.
Amélie se reconnaît elle-même : « un petit peu bourgeoise dans mes habitudes » et cette reine de Paris, cultive en réalité la discrétion. Contrairement aux demi-mondaines, le seul amant que l'on connaisse d'Amélie Diéterle, est le collectionneur Paul Gallimard. Plongée dans la haute société, elle préserve néanmoins sa vie privée et s'est forgée une réputation de passionnée des Arts et de la littérature, bien loin des frivolités.
La gloire passée de la Belle Époque et de ses héroïnes est perpétuée par la photographie qui, après avoir été un puissant instrument publicitaire, s'avère être un irremplaçable outil de mémoire. Amélie Diéterle a atteint une grande notoriété comme en témoignent toujours aujourd'hui les nombreuses cartes postales des années 1900 qui la représentent.
La célébrité de la comédienne au cours de la Belle Époque par la photographie : Amélie Diéterle, actrice de théâtre et de cinéma, cantatrice.
Amélie Diéterle par Léopold-Émile Reutlinger.
Photographie de la revue mensuelle illustrée, Le Théatre, du mois de mai 1903.
Amélie Diéterle interprète la reine Omphale au théâtre des Bouffes-Parisiens, en 1901.
Amélie Diéterle dans la comédie La Rieuse au théâtre des Variétés à Paris, en 1894.
Amélie Diéterle dans la pièce fantastique Le carnet du Diable.
Amélie Diéterle par Léopold-Émile Reutlinger vers 1895.
Léopold-Émile Reutlinger est le photographe attitré de l'actrice.
La comédienne par le Studio Cautin et Berger à Paris en 1904.
Amélie Diéterle en 1920 par Auguste Bert, photographe officiel de la Présidence de la République.
Les amours de Don Juan
En 1896, les reprises de Don Juan à l'Opéra de Paris et à l'Opéra-Comique obtiennent un succès immédiat. Les directeurs des autres théâtres parisiens souhaitent profiter de cette opportunité pour adapter l'histoire de ce personnage mythique et bénéficier ainsi du même triomphe.
Le théâtre des Variétés ne déroge pas à la règle. Fernand Samuel fait appel aux auteurs Paul Ferrier et Ernest Blum. Il confie la musique au compositeur Gaston Serpette. Albert Brasseur est choisi pour le personnage de Don Juan, Juliette Méaly interprète le rôle de Dona Elvire, Amélie Diéterle celui de Dona Anna, Ève Lavallière joue celui de Zerline.
Mais au final, les différents projets n'aboutissent pas. Don Juan va pourtant connaître une nouvelle adaptation inattendue deux ans plus tard avec Amélie Diéterle.
Les éditeurs Karl Nilsson and Per Lamm publient en 1898, Les amours de Don Juan, de Clément Rochel et Edmond Lepelletier. Cette maison d'édition est spécialisée dans le roman-photo, un genre innovant pour l'époque et commercialisé aussi bien en librairies que dans les gares, afin d'intéresser le plus large public possible. La caractéristique de ce roman inédit est le nombre de photographies qui illustrent cet ouvrage. Une véritable performance au vu des 229 pages du livre qui compte pas moins d'une centaine de clichés. Les auteurs présentent dans l'introduction, les deux héroïnes principales, alors que l'acteur qui incarne Don Juan reste inconnu, ce qui est pour le moins, paradoxal :
« Dans ce livre des Amours de Don Juan, nous avons fait appel, pour l’illustration photographique, à M Lise Fleuron, exquise et charmante artiste dont tout Paris raffole en ce moment, et à M Diéterle, dont la plastique et le talent sont applaudis chaque soir au théâtre des Variétés. Toutes deux ont bien voulu incarner les deux principaux personnages du roman : la première pour Dona Elvire, la seconde pour Dona Anna. »
La plastique évoquée d'Amélie Diéterle fait-elle référence au rôle de Bengaline que la comédienne interprète l'année précédente dans la revue théâtrale, Paris qui marche ? En tout état de cause, ce roman-photo contribue à la popularité de l'actrice qui a commencé sa carrière sur les planches en 1890 et qui exercera en parallèle, l'art de la comédie dans le cinéma, alors naissant. Amélie Diéterle est une pionnière dans bien des domaines artistiques.
Amélie Diéterle et le roman-photo : « Les amours de Don Juan » (1898).
Baptême de l'air
Charles Bernard, régisseur du théâtre des Variétés, achète en 1906 un ancien moulin dit Moulin l'Huillier (ou l'Hoeillet) à Mélicocq près de Machemont dans le département de l'Oise. Il transforme cet ancien moulin à blé en maison de villégiature dite Villa des Roulottes qui accueille de nombreuses personnalités du spectacle : Paul Gallimard, Mary Marquet, Maurice Chevalier, Geneviève Chapelas du théâtre de l’Odéon, ainsi que les danseuses des Folies Bergère…. Poètes et écrivains se retrouvent également dans cette propriété pendant la belle saison tels que Pierre Loti, Edmond Rostand, Léo Claretie et Henri Malo.
Amélie Diéterle choisit cet havre de paix pour effectuer un séjour de convalescence après une intervention chirurgicale : « À Machemont, il n’est donc nul besoin de médecins. Les yeux fatigués par l’électricité du théâtre se reposent sur la verdure des frondaisons, les oreilles ne sont pas abasourdies par les trompes des autos, ni les nez offusqués par des odeurs d’essence ou de fumées d’usines ».
Lors d'un nouvel hébergement au cours de l'été 1911, Amélie Diéterle fait la connaissance des aviateurs Robert Martinet et Georges Legagneux, fondateurs de l'aérodrome de Corbelieu près de Compiègne et de son école de pilotage sur des appareils Henri Farman. L'aviation n'en est qu'à ses débuts et les deux pilotes sont des pionniers dans ce domaine. Martinet lui propose alors un vol sur un de ses biplans, invitation que la comédienne s'empresse d'accepter. C'est ainsi que l'intrépide M Diéterle effectue son baptême de l'air à bord d'un aéroplane au début du mois de septembre 1911. Elle est accompagnée pour cet événement, par Paul Gallimard et plusieurs comédiennes des Variétés.
Les deux aviateurs vont connaître un destin tragique. Georges Legagneux se tue au cours du meeting aérien de Saumur, le 6 juillet 1914. En service commandé pendant la Première Guerre mondiale, le capitaine Robert Martinet trouve la mort lors d'un essai d’appareil Farman près de Mikra en Grèce, le 9 avril 1917.
Amélie Diéterle aviatrice
Amélie Diéterle aux côtés du pilote Robert Martinet au mois de septembre 1911. Photographie du journal Excelsior.
Page intégrale du journal Comœdia en février 1913.
Détail de l'article.
Photographie avant le décollage. À gauche, Paul Gallimard. Au centre Amélie Diéterle et Robert Martinet.
Robert Martinet à bord de son biplan Henri Farman vers 1910.
Robert Martinet à gauche, Georges Legagneux à droite et au centre un des organisateurs de la course d'aéroplanes Angers-Saumur, le 6 juin 1910.
« M Diéterle monte en aéroplane ». Deux articles de presse relatent l'évènement à dix-sept mois d'écart : le journal Excelsior, en date du 4 septembre 1911 et celui de Comœdia, le 26 février 1913. Amélie Diéterle a fait la connaissance des aviateurs Robert Martinet et Georges Legagneux, fondateurs de l'aérodrome de Corbelieu et de son école de pilotage sur des appareils Henri Farman, à Machemont près de Compiègne dans le département de l'Oise.
L'affaire des faux Rodin
Amélie Diéterle est compromise malgré elle dans l'affaire du trafic des faux Rodin en 1919. L'État, légataire des droits de reproduction des œuvres d'Auguste Rodin, intente un procès en ce début d'année 1919, à d'anciens assistants de l'artiste accusés d'avoir produit des faux, deux ans après le décès du maître, survenu à Meudon le 17 novembre 1917.
Le conservateur du musée Rodin, Léonce Bénédite, et le fondeur d'art, Eugène Rudier, ont eu connaissance que des productions inconnues de Rodin se multipliaient. Les amateurs d'art qui s'étaient rendus acquéreurs de ces reproductions ont donné leur aval pour une expertise. Ces pièces sont en fait que des copies. Bénédite agissant au nom du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts a en conséquence, déposé une plainte en contrefaçon des œuvres de Rodin dont l'État est l'héritier.
L'affaire s'ébruite dans la presse suite à l'arrestation le 14 janvier 1919 à Asnières, de Jacques Bouyon dit de Chalus qui avait épousé Berthe Bougot, la veuve d'un médecin de Rodin, le docteur Monfoux. La perquisition menée à son domicile a permis la découverte de vingt-quatre œuvres en bronze, gravées avec la dédicace : A mon médecin, Rodin ou Au bon docteur, Rodin. Chalus déclare qu'il tient ces bronzes du sculpteur italien, Achille Fidi, qui dénonce à son tour ses compatriotes, les fondeurs Philippe et Amerigo Montagutelli. Le commissaire René Faralicq chargé de l'enquête, procède à l'arrestation de ces quatre premiers suspects. Ce commissaire émérite ainsi que le juge d'instruction, M. Bonin, responsable de cette affaire, s'occupent parallèlement d'un autre dossier, celui du criminel en série, Henri Désiré Landru.
Les frères Montagutelli travaillaient pour Rodin en 1912 et ils ont acquis la clientèle du célèbre sculpteur qui leur passe de nombreuses commandes. Auguste Rodin de son vivant, dépose une plainte à l'encontre des Montagutelli pour fabrications illicites au mois de novembre 1913. Les Montagutelli perdent la clientèle de Rodin, mais cela ne les empêchent pas de poursuivre leur activité et de s'associer à un ouvrier d’art, Louis-Frédéric Rouquette, pour l'exploitation d'une fonderie artistique. En réalité, Auguste Rodin est avant tout un modeleur et délègue une grande partie de son travail à de nombreux assistants, mouleurs, tailleurs de marbre et sculpteurs. Après la mort de Rodin, la question de l'authenticité des bronzes se pose. La fonderie Montagutelli est de nouveau accusée en 1919 pour des faits identiques à ceux de 1912, mais à une plus grande échelle. Le juge Bonin chargé de l'instruction, doit déterminer la contrefaçon en matière artistique, l'escroquerie, mais également rechercher les clients potentiels des fondeurs mis en cause, pour recel dont Paul Gallimard, grand collectionneur, et Amélie Diéterle.
En effet, l'inspecteur de police, Léon Ballerat, a retrouvé au cours de ses recherches début février, une cinquantaine de bronzes dont l'authenticité est douteuse, au domicile à Paris d'une personnalité fortunée et ami de Rodin, Paul Gallimard. Dans cet appartement, au 68 boulevard Malesherbes, habite également son amie Amélie Diéterle, qui se retrouve de ce fait, confrontée à cette enquête. La plupart de ces pièces proviennent de l'atelier des Montagutelli. Les Bronzes appartiennent à Gallimard et déposés par ses soins dans le logement de l'artiste. Ils sont en attente d'un déménagement au 79 rue Saint-Lazare, l'hôtel particulier et conjugal de Paul Gallimard, ce que confirme M Diéterle qui ne possède aucune de ces œuvres à titre personnel.
Malgré ces témoignages et leurs protestations, le juge Bonin décide d'inculper de contrefaçon et de complicité, M. Gallimard et M Amélie Laurent dite Diéterle, ainsi qu'un courtier-expert, M. Joseph Bernaschi.
Le juge termine l'instruction de l'affaire le 9 avril 1919 par le renvoi des inculpés, dont Philippe et Amerigo Montagutelli, Jacques Bouyon dit de Chalus, son épouse Berthe Bougot, le statuaire Achille Fidi, le courtier Joseph Bernaschi et Paul Gallimard, devant le tribunal correctionnel de la Seine, exceptée Amélie Diéterle qui bénéficie d'un non-lieu. L'État se porte partie civile au procès qui se tient le 8 mai 1919 devant la 8e chambre correctionnelle.
L'implication de Paul Gallimard dans cette affaire et absent au tribunal pour raison de santé, se solde par un arrangement en 1923 avec la donation d'un tableau d'Eugène Carrière à l'État français.
Si Amélie Diéterle obtient un non-lieu, sa vie privée est étalée sur la place publique par voie de presse. Son intimité avec Paul Gallimard est révélée ainsi que son véritable patronyme, sa date de naissance et son domicile parisien. Les conséquences à plus ou moins long terme, seront la fin de la relation avec Paul Gallimard et son retrait graduel du théâtre.
Les dernières années
Deux disparitions touchent de près Amélie Diéterle. Celle de sa tante, Charlotte Dieterlé, qui meurt chez sa fille Pauline Grado, épouse d'Auguste Chauveau, au 6 rue Choron dans le 9e arrondissement de Paris, le 31 janvier 1917. Puis celle de son père, Louis Laurent, qui décède Villa Omphale, rue Maurice Berteaux à Croissy-sur-Seine le 29 septembre 1919. La déclaration du décès est établie par Pauline Grado, nièce (par alliance) du défunt et un ami de la famille, André Simon, rentier, demeurant 42 rue Ampère dans le 17e arrondissement de Paris. Proche de la famille, André Simon deviendra onze ans plus tard, l'époux d'Amélie Diéterle.
Fatiguée par plus de trente années passées sous les « feux de la rampe » et suite à l'affaire des faux Rodin, Amélie Diéterle se retire progressivement de la scène entre 1920 et 1922.
À la fin du mois de juillet 1927, Amélie Diéterle en rentrant de vacances, constate la disparition des gardiens de sa villa à Croissy, les époux Gieske. Ces derniers profitant de l'absence de leur patronne, se sont enfuis non sans emporter une quantité de vêtements, lingeries, fourrures, dentelles anciennes, etc., dont le montant du vol est très important. Sur plainte de M Diéterle, le parquet de Versailles a ouvert une information judiciaire et fait rechercher les domestiques indélicats qui se seraient réfugiés en Belgique.
Mais à la fin des années 1920, Amélie Diéterle fait construire une autre propriété à Vallauris dans le département des Alpes-Maritimes et située Route Nationale à Golfe-Juan. Cette superbe villa est surnommée comme celle de Croissy-sur-Seine : Omphale et devient la résidence officielle de l'ancienne pensionnaire des Variétés. Avec la disparition de Paul Gallimard le 9 mars 1929 à Paris, Amélie Diéterle est un cœur à prendre et une rencontre va établir durablement l'artiste dans la cité balnéaire de la Côte d'Azur.
En cette année 1929, une indiscrétion est divulguée dans une revue hebdomadaire satirique, Cyrano, qui annonce le mariage d'Amélie Diéterle en ces termes : « les reines de beauté de 1890, Mmes Marcelle Dartoy de l'Opéra et Amélie Diéterle des Variétés, ont épousé des méridionaux aussi bien rentés, qu'apparentés ». Le journal littéraire et mondain de
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